Le mordançage

Qu’est-ce que le mordançage ?

C’est une étape préalable à la teinture végétale, nécessaire dans la plupart des cas pour que la teinture se fixe et soit solide aux lavages et à la lumière. Le mordançage créée un pont chimique entre la fibre et la teinture, car la teinture seule n’est  pas toujours apte à se fixer sur la fibre.

Cependant, certaines teintures végétales sont dites « substantives » lorsque le mordançage n’est pas nécessaire à leur tenue. C’est le cas de l’indigo et du pastel, du curcuma, du rocou, de la carthame, de la cochenille, des pelures d’oignons, et de toutes les teintures végétales taniques (cachou, noix de galle, écorces). A noter que l’indigo et le pastel sont deux teintures dites « à la cuve » qui nécessitent un processus particulier pour teindre.

Les mordants

1. Alun (sulfate double d’aluminium et de potassium) : c’est  le plus courant, celui qui modifie le moins la couleur finale. Il s’utilise seul, ou bien en association avec la crème de tartre (bitartrate de potassium). La crème de tartre est un sous produit naturel issu de la vinification. Utilisé seul, l’alun ne donnera pas exactement les mêmes résultats que combiné à la crème de tartre. Dans le deuxième cas, les teintes seront plus vives et soutenues, l’hypothèse étant que la crème de tartre convertirait une partie de l’alun en tartrate d’alumine, qui se combinerait avec les fibres plus facilement que l’alun.

L’alun s’utilise à raison de 10 à 20 % par rapport au poids de fibre à teindre (si vous devez teindre 100 grammes de fibres sèches, utilisez 10 grammes d’alun). Associé à la crème de tartre, 10% d’alun et 6 % de crème de tartre conviennent. La plupart du temps, 10% d’alun sont suffisants pour obtenir de bons résultats de teinture, mais le campêche en particulier nécessite 20% pour une meilleure tenue à la lumière et aux lavages. Les fibres végétales ont également besoin d’être mordancées avec 20% d’alun.

2. Sulfate de fer : il est surtout utilisé comme post-bain de teinture. Il fait virer la couleurs vers des nuances généralement plus foncées, plus « éteintes », tout en les rendant plus solides à la lumière et aux lavages. En mordant, il donne de très beaux prunes avec la garance, et des rouges sombres avec la cochenille. Pour mordancer, on l’emploie à raison de 2 % par rapport au poids de fibres sèches. Le sulfate de fer rend les fibres animales cassantes, il est important de ne pas dépasser cette dose, y-compris en post-bain.

3. Sulfate de cuivre : comme le sulfate de fer c’est en post-bain qu’il s’emploie le plus, pour faire verdir les teintes. Mais en mordançage, il donne une belle couleur vert clair à la laine, et permet d’obtenir des verts mousse avec la gaude par exemple. En mordant, il s’utilise à raison de 2% par rapport au poids de fibres sèches à teindre, et 5% de vinaigre. Le vinaigre permet une meilleure absorption du sulfate de cuivre par les fibres.

4. Tanins : ce sont des substances naturelles présentes dans les végétaux, en particulier les écorces, parfois les feuilles, les racines et les fruits. Parmi les plantes à tanins connues, il y a l’écorce de chêne, la noix de galle, le tara (fruit d’un arbre). Le mordançage aux tanins assombrit les couleurs et tend à les rendre ternes avec le temps. Pour mordancer avec le tara, on utilise 10% de poudre par rapport au poids sec des fibres à teindre ; pour mordancer avec la noix de galle, c’est 100% de noix de galle.

Certaines plantes à tanin sont aussi tinctoriales, comme l’écorce de bouleau, le henné, le cachou, le brou de noix.

5. Acétate d’alun, lactate d’aluminium : à ne pas confondre avec l’alun (sulfate d’alun), l’acétate d’alun  est employé au Japon pour mordancer la soie et le coton. Il s’utilise à raison de 5% d’acétate d’alun par rapport au poids de fibres sèches à teindre (exemple : 5 grammes d’acétate pour teindre 100 grammes de coton). Le lactate d’aluminium s’utilise de la même manière.

6. Acide oxalique : On le trouve en grande quantité dans les feuilles de rhubarbe. Pour ceux qui souhaitent n’utiliser que des plantes pour la teinture, il remplace l’alun. En revanche l’acide oxalique est toxique à forte dose, il faut en particulier éviter de respirer les vapeurs du bain de mordançage.

7. Étain (chlorure stanneux ou chlorure d’étain) : permet d’obtenir des rouges brillants avec la cochenille en particulier, en mordant ou en post-bain. Mais il est toxique pour l’homme et polluant pour l’environnement. Je ne l’utilise personnellement pas.

8. Bichromate de potassium : on ne devrait plus jamais l’utiliser en teintures naturelles. Toxique à faible dose pour l’homme, il est également très polluant pour l’environnement. Souvent cité dans les ouvrages de teinture végétale dans les années 1970 et avant, aujourd’hui plus aucun livre de teinture ne devrait le citer comme mordant.

Note : sel et vinaigre ne sont pas des mordants à proprement parler. Le sel s’utilise avec certaines teintures dites « chimiques » pour teindre le coton, et uniquement dans ce cas-là. Le vinaigre, en acidifiant l’eau, permet aux fibres animales d’éventuellement mieux prendre les couleurs. Il ne remplace pas l’alun.

De haut en bas, mordançage alun, sulfate de cuivre, sulfate de fer

De bas en haut, mordançage alun, sulfate de cuivre, sulfate de fer

Les fibres et les mordants à utiliser :

Fibres animales et soie : parmi les fibres animales les plus connues, on peut citer la laine de mouton, l’alpaga, le mohair, le cachemire. Toutes ces fibres se mordancent avec de l’alun, alun+crème de tarte, acide oxalique, tanins, sulfate de fer ou de cuivre.

Fibres végétales : le coton, le lin, le chanvre, la ramie sont des fibres cellulosiques. Il est plus difficile d’obtenir des teintes vives et saturées avec les fibres végétales. Elles se mordancent avec de l’acétate d’alun, des tanins, de l’alun en proportion plus importante que pour les fibres animales, ou encore avec une succession de bains alun-tanins-alun.

Comment mordancer

Il y a plusieurs façons de mordancer.

1. Dans le bain de teinture. C’est la méthode qui semble la plus facile et rapide, la plus abordable pour le débutant, elle consiste à ajouter la solution de mordant directement dans le bain de teinture. Mais cette méthode possède des inconvénients. D’abord, le résultat peut être plus clair que si la fibre était déjà mordancée. Ensuite, le mordant va faire précipiter les colorants tinctoriaux, rendant le bain inutilisable une deuxième fois.

2. A froid : contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’y a pas besoin de chauffer le bain de mordançage, ni le bain de teinture d’ailleurs. Le procédé s’effectue très bien à froid, à condition de ne pas être pressé (compter 24 à 48 h pour que le mordançage soit effectif). L’avantage de ne pas faire chauffer le bain de mordançage, c’est que la laine ne risque pas de feutrer, et que l’on ne risque pas de respirer des vapeurs qui ne seraient pas très bonne pour les bronches. On peut aussi oublier ses fibres dans la casserole sans problèmes. La méthode suivante est donnée pour un mordançage à chaud, il suffit de passer les étapes 7 et 8 pour un mordançage à froid, et de laisser les fibres dans le bain de teinture 24 à 48 h.

3. A chaud. Voir la méthode ci-dessous.

Note : le bain de mordançage peut être réutilisé en le complémentant avec l’alun et la crème de tartre, à raison de la moitié de la quantité utilisée au départ.

Les fibres mordancées se conservent plusieurs années, il est donc plus pratique d’en mordancer une grande quantité à l’avance.

  1. peser les fibres pour connaître la quantité de mordant à utiliser (par exemple, pour 10% d’alun, si l’on pèse 200 grammes de fibres, on utilisera 20 grammes d’alun)
  2. rincer les fibres
  3. bien diluer le mordant dans un peu d’eau tiède
  4. remplir un grand faitout (en inox ou émail de préférence, car une casserole en aluminium va réagir avec l’alun et devenir poreuse) avec suffisamment d’eau pour que les fibres à mordancer bougent librement dedans
  5. ajouter le mordant
  6. ajouter les fibres humides
  7. faire chauffer à 80-90°C en remuant régulièrement, pendant 45 minutes
  8. laisser refroidir
  9. rincer et sécher pour une utilisation ultérieure
  10. ou bien égouttez et teignez

Précautions et toxicité

Dans « teintures naturelles » il y a le mot « naturel », qui pourrait faire penser, à tord, que les teintures végétales sont inoffensives pour l’homme et son environnement. Ce n’est pas tout à fait le cas. Quelques précautions s’imposent.

  • utiliser des récipients uniquement destinés à vos teintures
  • aérez pendant que vous faites chauffer vos bains
  • ne pas faire bouillir les bains de mordançage (c’est inutile, cela risque de faire feutrer la laine, et les vapeurs ne sont pas bonnes à respirer)
  • portez des gants pour manipuler les produits
  • si possible, évitez de teindre dans votre cuisine, préférez le plein air

Toxicité :

  • alun : non toxique mais ne pas avaler. Irritant, ne pas respirer les fines particules
  • crème de tartre : non toxique
  • sulfate de fer : nocif si ingéré
  • sulfate de cuivre : toxique, ne pas ingérer et ne pas toucher directement sans gants
  • tanins : non toxiques
  • acide oxalique : toxique, ne pas respirer les vapeurs, mettre un couvercle sur les casseroles et aérer
  • acétate d’alun : non toxique mais ne pas avaler. Irritant et très pulvérulent, ne pas respirer les fines particules.

A l’exception de l’étain et du chrome, les bains de mordançage ne sont pas préjudiciables pour l’environnement, à condition de respecter les doses indiquées.

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